Blaise de Vigenère (1614)

Blaise de Vigenère, Les images ou tableaux de platte peinture des deux Philostrates (1614).

[p. 850] Et pource que Callistrate n’use point icy d’aucun préambule cmme ont fait les autres, il sera besoin de traicter, puis qu’il y vient tant à propos, quelque chose de [p. 851] la sculpture ou statuaire, autrement ditte imagerie, laquelle se divise en deux principaux artifices: la bosse ou relief, et le creux, qui sont directement opposez l’un à l’autre. Du relief il y en a deux sortes: l’une ditte le plein relief, quand l’image de quelque chose que ce soit est en son parfait estre, arrondie de tous costez sans tenir à rien, ainsi que sont toutes les testes et statües antiques qu’on void à Rome et autrepart, les vases aussi qu’on appelle communement les Corinthiaques, les plus belles de Rome sont l’Adonis ou Méléager de messire Francisque de Norche, l’Apollon de Bel-Veder, le Laocoon avec ses deux enfans, d’une seule pièce de marbre; la Cléopatre, l’Hercules d’Échion athénien, qui est en la cour du Pallais Farneze etplusieurs autres. De bronze il s’en void bien peu, sors l’Hercule du Capitole et le Marc Aurèle monté à cheval; encore est-il de pièces rassemblées et non fondu tout d’une pièce, comme les quatre chevaux attellez à un chariot, dessus le portail de la chapelle de Saint-Marc à Venise.

L’autre espece de relief est ce qu’on appelle la demybosse, ou basse-taille, selon le plus et le moins que la sculpture est relevée sur le fonds auquel elle tient, comme les deux colonnes historiées triomphaux, plusieurs piles aussi ou cercueils de marbre, plus les médailles d’or, d’argent et de bronze et les camaieux d’agathe et autres pierres fines. Au regard des creux ou graveures, les unes pareillement sont plus ou moins avant entaillées que les autres, ainsi qu’on peut voir en infinies onyches, cornalines, lapislazuli, agathes, cassidoines, aimathystes, jaspes, cristal et cetera. Dont les onyches et coralines ont esté celles principalement où les plus excellens ouvriers ont plus volentiers employé leur labeur pource qu’elles sont plus fermes et esgalles et se taillent plus net que nulles des autres. J’ay veu, ie ne sçay si ie ne l’auray point desia dit ailleurs, un diamant de cinq à six mille escus, où éstoient gravées les armoiries de Portugal, et un autre de bien plus grande importance à Rome, car il passoit trente mille escus, où éstoit gravé tres-exquisement tout le blason du roi d’Espaigne, qui estoit un labeur et patience extreme, à cause de tant de quartiers et tout de menues pieces dont il consiste, ioint qu’on sçait assez que le diamant ne se taille que par soy-mesme: aussi y avoit le graveur le plus excellent de tous les modernes employé bien cinq ou six ans. Il est vrai que pour se resgayer les esprits, il travailloit par intervalles à d’autres choses.

Mais pour retourner aux statues qui sont icy nostre principal propos et subiect, car des medailles nous en avons parlé à suffisance en nos Annotations de Tite Live, la matiere et estoffe de l’imagerie consiste en bronze, or, argent, yvoire, ebene, bois, marbre et pierres dures de toutes sortes, et l’argile encore ou terre à potier, la cire mixtionnée avec de la poix ceruse, chaux et semblables matériaux, à la discretion des ouvriers. Or il n’y a point de doubte que les statues de terre n’ayent esté les premières de toutes (si la peinture a precedé l’imagerie, ou au rebours, c’est un cas à part: mais i’estimerois que le dessein simple ait esté devant l’une et l’autre) parce qu’aussi bien ne fait on point de statues d’importance, de quelque estoffe que ce soit, qu’on n’en dresse premierement un modelle: les Grecs apellent cela plastikh, comme qui diroit fictrice ou efformatrice, contrefaisant de relief les choses naturelles, de laquelle Pline parle bien amplement au 35 livre chapitre 12. […]

 

[sul disegno]

 

[p. 852] Parquoy il vaut mieux discourir icy de la precellence de la sculpture et de la peinture, et là dessus comme il a esté desia dict cy devant, il ne faut point faire doubte que le dessein simple de croyon ou de charbon n’ait precedé la sculpture, car on ne fait point de statue de quelque estoffe que ce soit, sans en esbaucher premierement quelque modelle de terre, ny ne modelle sans un dessein. […] Parquoy nous commencerons par le dessein, puis que c’est le principal fondement de l’une et de l’autre de ces deux arts et professions.

Il y a donc plusiers manieres et moyens de desseigner et portraire, comme avec le charbon, le croyon noir ou rouge et la plume, qui est le plus laborieux, difficile et hardy de tous, parce qu’il faut hacher dru et menu le dedans des figures qui est enclos dans le profil, que les grecs appellent perijereia, par plusieurs lignes s’entrecouppantes à petits carreaux ou lozanges en forme d’une treillisure, pour servir d’ombrage, selon le plus et le moins, laissant autant de blanc qu’il en faut pour servir de iour. Ceste façon de desseigner avec la plume, sert principalement pour portraire les planches de cuyvre, soit dessus de plaine arrivée, ou en y pochant ce qui auroit esté tracé sur du papier pour les imprimer puis apres en taille douce, avec un noir qui est fait de fumée à peu pres telle qu’on employe à noircir les soulliers, mais plus subtil et delicat, avec des gommes et mesme celle de deaghant, des noyaux de pesches bruslez, et quelques autres ingrediens, en cecy a excellé de nostre temps Albert Darer (sic) Allemand, entre tous les autres.

Mais au lieu de hacher, quand le profil est achevé avec la plume comme dessus, on a accoustumé d’y proceder pour plus grande facilité avec le pinsseau, et de l’ancre affoiblie avec de l’eau pour la descharger de noirceur, on peut user encore en lieu d’ancre de quelques legieres et foibles couleurs, et s’appelle tout cela laver; le plus facile expedient et abregé est avec le croyon de pierre noire; ou de sanguine qui servent tant pour le profil que pour former les ombrages de[p. 853]dans le vide; et la lumiere se formera avec de la ceruse destrempée en eau, et un peu de gomme arabigue, si c’estoit sur un autre fonds que du papier blanc, de la charte ou du parchemin.

De cecy ont fort accoustumé d’user ceux qui tirent et portrayent au vif, pour sur crayon, que par le moyen de la mie de pain blanc ils reforment et corrigent comme il leur plaist, en elaubourer puis apres et parfaire un pourtraict accomply de ses naturelles couleurs: car ce croyon leur sert de mesme que le modelle à l’imagerie. Et d’autant que le dessein n’est que l’ombre, à maniere de parler, du relief, et la platte peinture un dessein accompagné de ses couleurs, par consequant le relief sera estimé à bon droite estre le principal fondement de l’un et de l’autre, si que iamais on ne sçaurroit gueres bien reussir à estre excellent peintre si l’on n’est versé en la sculpture, qui luy acquiert la ruze et dexterité de bien representer les raccourcissemens, les renfondremens et relevemens en un plan, et comme on dit en terme de peinture, faire que ce qui est representé tout plat sans aucune eminence paroisse estre de relief, et se ietter comme hors d’œuvre, qui est l’une des plus grande perfections de ceste art, et la plus grand louange qu’on puisse donner à la platte-peinture. Pline à ce propos livr. 35 chap. 10 parlant de cest excellent portrait d’Alexandre que fit Apelles au temple de Diane en Ephese, ayant la ressemblance de Iuppiter qui tenoit la foudre en sa main, et ce pour le prix et somme de six vingts mille escus, si les exemplaires ne mentent: «Pinxit et Alexandrum magnum fulmen tenentem in templo Ephesiae Dianae, vinginti talentis auri: digiti eminere videntur, et fulmen extra tabulam esse. Sed legentes meminerint omnia ea constare quatuor coloribus, immanet tabulae precium accepit aureos mensura non numero».

Quel bon temps devoit estre celuy-la pour les excellens esprits, on le peut assez iuger de cecy. Mais pour venir à nos peintures modernes qui n’ont pas esté si exquis et n’ont eu aussi le siecle si favorable, parce que selon le commun dire Honos alit artes, on a peu voir en plusieurs grands ouvriers de nostre age et un peu devant combien l’imagerie et le relief ont servy à faire un bon peintre: comme en Michel l’Ange, qui a surpassé en l’une et l’autre toute ceste derniere volée d’excellents maistres, depuis que les bonnes arts et sciences commencerent à se resveiller, il y peut avoir quelques cent ans et non plus; mais las? elles s’en revont de rechef plonger dans ce guphre de barbarie et ignorance où elles avoient esté detenues plus de douze ou treize cents ans. Devant cet excellent homme susdit estoient en vogue, et non sans cause, le Ghiotto, le Donatello, André Mantegne et autres; Raphael d’Urbin les a suivis, plus loué toutesfois pour sa belle et delicate maniere de colorer que pour la perfection du dessein. Les ouvrages aussi qu’on void à Rome en plusieurs endroits du Polydore et d’un nommé Mathurin, soubs le pontificat de Leon X et Clement VII, de noir et blanc seulement, ce qu’on appelle chiar’obscuro, sont fort estimez. Tellement que le relief est comme le pere de la peinture, et elle la fille du relief.

Quant au chef principal de ces deux, ce que Philostrate en son proeme appelle l’imitatrice, il consiste en l’homme, lequel ainsi qu’il a esté formé la plus belle creature de toutes celles qui ont corps, aussi est-il le plus difficile à bien contrefaire et representer, mesmement les beaux, tant en plat qu’en bosse; et pourtant avant que d’en faire une image, il est bien requis d’en faire un modelle, et ce modelle sur un dessein, autrement ce seroit y aller à cloz yeux; en quoy l’on a cherché plusieurs voyes et expediens, les uns en quelque lieu cloz ayant les murailles bien unies et crespies de blanc, font assoir ou tenir debout, ou en autre tel geste et action qui duist à ce qu’on veut representer, quelque personnage bien fait, et par le moyen d’une lumiere qu’ils font tenir derriere luy, la haussant et baissant selon qu’il leur vient à propos, contretirent sur la paroy l’ombre d’iceluy qui s’en forme; ce qui leur sert d’un premier esbauchement, comme en gros, tant pour les contenances que pour les mesures, qu’ils accomodent puis apres avec d’autres traicts plus particuliers, qui ne se peuvent pas representer par ceste ombre; et là dessus forment tellement quellement leur modelle de terre grasse ou de cire, haussant, baissant, advançant, recullant et raccourcissant, et en somme changeant et reformant ce qu’il faut és parties par le menu de cette image, soit toute nue et plantée debout, comme l’Apollon et la Venus de Bel-Veder, soit vestue et couchée comme Cleopatre, jusqu’à tant que l’ouvrage plaise et soit conduit à se derniere perfection, selon la portée et suffisance de l’ouvrier, afin qu’il se puisse par là conduire puis après à tailler sagement et par discretion à loisir son estoffe, dont si l’on en oste tant soit peu de trop et mal à propos, l’on ne le peut pas aisement rhabiller; de façon qu’il faut estre bien ruzé, seur et expert en cest endroit avant que de s’en entremettre à bon escient et aller avec une grande patience en besoigne, mesmement és grandes figures, où il est plus aisé de faire quelque pas de clerc et broncher qu’és petites; et pareillement quand il y en a plusieurs ensemble, comme en ce taureau du palais Farneze, planté sur un piedestal carré, qui a plus de seize ou dixhuict pieds en tous sens, car cest animal est trop plus grand que le naturel, et il y a quatre nymphes colossales aux quatre coings, qui le tiennent attaché à de longs festons de fruictages et fleurs, avec tels autres infinis enrichissements pour la decoration de l’œuvre; l’entreprise aussi de Michel l’Ange estoit hautaine et fort hardie, sentant bien sa main asseurée, lequel commença l’an 1550, que i’estoit à Rome, un crucifiement où il y avoit de dix à douze personnages, non pas moindres que le naturel, le tout d’une seule piece de [p. 854] marbre, qui estoit un chapiteau de l’une de ces huict grandes colonnes du temple de la paix de Vespasian, sont il s’en void encore une toute entiere et debout, mais la mort qui le prevint empescha la perfection de ce bel ouvrage, selon sa coustume ordinaire d’interrompre les plus hauts dessein et proiects des hommes, comme en Alexandre, Iulles Cesar, et plusieurs autres.

Les imagiers au reste se conduisent à dresser leurs modelles de ceste sorte, lesquels ont quatre veues principales, le devant, le derriere et les deux costéz; à quoy ayde fort le dessein qui se contretire sur l’ombre dessusdite representée en la muraille, faisant tourner celuy qu’on prend pour son exemplaire et patron, selon les varietez des situations convenables. Et là dessus peuvent venir en l’imagination de l’ouvrier plusieurs beaux concepts, tantost d’une façon, puis d’une autre, tant que finablement on s’arreste à celuy qui viendra le plus à gré. I’ay dit quatre principales veues qui se soubs-divisent en quatre autres entremoyennesn si qu’elles sont huict, et non seulement huict, mais plus de quarante ou cinquante, selon la diversité des muscles, et de leurs mouvemens, qui varient la contenance de chasque membre, là tout cela branle et se diversifie d’infinies sortes pour si peu que la personne se remue et change d’assiette et posture; parquoy l’on ne sçauroit gueres bien assigner aucunes reigles particulieres de cela, ains tant seulement quelques maximes en bloc et en tasche à veue de pays, où la reigle ny le compas ne sçauroient suffire à guider la main d’un ouvrier en la sculpture ou platte-peinture, combien que le principal depende d’eux, mesmement és grandes mesures, parce que toutes sortes de lignes droictes et courbes se guident par là. Tout ainsi au reste qu’il est bien requis qu’en dressant son modelle on y regarde soigneusement et é loisir, sans se trop haster ny se retenir à ses premieres opinions; et mesme en prendre le conseil et advis des experts en l’art et des gens doctes, d’esprit et de iugement, car encore qu’ils ne sçachent ne peindre, ne desseigner, si ne laissent-ils pas neantmoins de donner bien souvent de belles ouvertures et resolutions, parce que l’entendement humain esr fort universel, et s’estend par tout la dexterité de ses coniectures; d’autre part de se vouloir tousiours amuser à changer et rechanger de proiect et opinion, sans finablement s’arrester à une, ce seroit un erreur et defaut non gueres moindre que le premier, ce qui fut reprochoit, rhabillant tousiours quelque chose en ses ouvrages, la pluspart du temps au grand preiudice d’iceux, qui ne faisoient que s’empirer de ces irresolutions, rendans la vive naïfveté qui doit proceder d’une gaye, hardie et esveillée promptitude, plus morne, languide et pesante par tant de reïterations s’elangourans les unes des autres, si que le plus souvent les desseins tant promenez et variez ne sont pas les meilleurs, non plus que les affaisonnemens des viandes, car il faut qu’il y ait une mesure en toutes chose, autrement rien iamais ne s’effectueroit.

Or que la sculpture ne soit plus difficile et plus hazardeuse que la peinture, on le peut assez appercevoir, entre autres choses, par les ouvrages de Michel l’Ange, le plus accomply des modernes en l’une et en l’autre, car encore qu’il excellast en toutes les deux presque esgallement, et qu’il y despensast son temps comme à la ballance, il neantmoins pour une statue de marbre fait une centaine de figures de platte-peinture et bien colorées, comme on peut voir au iugement de la chapelle Sixte au Palais saint Pierre, et és prophetes qui sont és voutes, plus grands assez que le naturel que les bons maistres prisent plus que le iugements qui est un plat fonds. Plus en ces deux grands quadres ou tableaux d’une chapelle là aupres, le tout à fraiz qui est trop plus prompt qu’à huille ny detrempe, l’un de la conversion S. Pol, et l’autre du crucifiement de S. Pierre, uù il y a en chacun plus de cinquante personnages: laquelle difficulté toutesfois de l’imagerie ne procede pas seulement de la peine qu’apporte la direté du marbre, ains du soin aussi qu’il faut employer à la diligente observation de la diversité des veues qui sont en une statue de plein relief, qui a sa rotondité accomplie: ce qio n’advient pas à la platte-peinture qui n’a besoin de tant de veues. L’autre precellence de la sculpture par dessus la peinture, c’est qu’elle a montré le chemin et donné la loy à toutes les proportions et mesures de l’architecture, lesquelles ont esté empruntées du corps humain, et ont pris leur origine et fondement, de façon qu’un sculpteur a un grand advantage en cet endroit, et y sera beaucoup plus propre qu’un simple peintre, qui ne lairra pas toutesfois de s’y entendre aucunement à cause de la cognoissance et practique qu’il a du sessein, selon qu’on a peu voir en Raphael d’Urbin: car qui sçait bien portraire une figure d’homme et d’un animal, a plus forte raison peut bien desseigner un edifice, dont les lineamens s’accomodent mieux à la reigle et au compas, que les traicts desdits animaux: mais d’autant qu’on ne fait que les contrefaire apres le naturel, dont procede le premier dessein, et que l’ordonnance et disposition d’un bastiment que les Grecs appellent oikodomia depend de la fantasie de l’architecte, qui en est comme un nouveau createur: quant à la forme et figure, la difficulté y est tant plus grande, parce qu’il est plus malaisé d’inventer que de contrefaire, et mesmement d’en approprier les parties à leur deue situation; car elles se rapportent aux membres du corps humain. Et de fait tout ainsi que le peintre ou imagier les varient pour en faire diverses figures, et qu’ils adaptent ces figures diversement pour la representation de quelque histoire ou autre sub[p. 855]iect, soit en plain, soit de relief, de mesme l’architecte doit faire, les pieces de son edifice: tellemebt qu’il a une grande affinité entr’eux: ce qui est cause que il seroit bien malaisé, voire presque impossible qu’on peust estre bon architecte, si l’on ne sçait le dessein et la portraicture, et pour le rendre plus accomplyn quelque chose de l’imagerie. Aussi Michel l’Ange a amandé beaucoup de fautes pour la grande et exacte cognoissance qu’il en avoit, que Brumant [sic] et Sangal avoient commises à la fabrique de l’Eglise de S. Pierre de Rome; dont ils furent les premiers ordonnateurs. Et feu monsieur de Clany envers nous, lequel ne s’estant iamais exercé qu’au croyon, plustost encore d’un instinct naturel propre en luy en incliné à la portraiture que par art acquisé, a neantmoins conduit assez heureusement le Louvre de fonds en comble tel qu’on le void, conbien que ceux qui sont versez n l’art y remarquent tout pleun d’erreurs tant par dedans que par dehors? Et à la verité ces grands pieces meritent bien de passer par le mains de ceux qui ont fait leur apprentissage et coups d’essais en d’autres moindres, suyvant le dire commun italien gastando s’impara, qu’un tailleur avant que se rendre bon maistre aura gasté assez de drap, les deux du Cerceau aussi pere et fils ont esté des meilleurs architectes de nostre temps, pour ka cognoissance qu’ils avoient du dessein, mais maistre Iean Goujon estoit plus versé en l’imagerie, de la main duquel sont ces quatre grands colossales caryatides de la salle basse du Louvre, ce neantmoins aores le croyon au mesme volume de la main dudit sieur de Clany, si fort estoit pour ce regard le naturel en ce personage de bonne maison, les fontaines de S. Innocent et le poulpitre de S. Germain de l’Auxerrois, toutes bonnes pieces pour les modernes, sontde la main et conduitte dudit Goujon. Mais le plus excellens imager François tant en marbre qu’en fonte, i’excepteray tousiours en maistre Iacques natif d’Angolesme, qui l’an 1550 s’osa bien paragonner à Michel l’Ange pour le modelle de l’image de S. Pierre à Rome, et de fait l’emporta lors par dessus luy au iugement de tous les maistres mesme italiens: et de luy encore sont trois granes figures de cire noire au naturel, gardées pour un tres-excellent ioyau, en la librairie du Vatican, dont l’une monstre l’homme vif, l’autre comme s’il estoit escorché, les muscles, nerfs, veines, arteres et fibres, et la troisiesme est un skeletos, qui n’a que les ossemens avec les tendons qui les lient et accoupplent ensemble. %%Plus un automne de marbre qu’on peut voir en la grotte de Meudon, si au moins il est encore, car je l’y vu autresfois ayant été fait à Rome, autant prisé que nulle autre statue moderne; le plus excellent donc sculpteur français, ni autre deça les monts, a esté maistre Germain Pilon, décédé l’an 1590, dont se voient infinis chefs-d’œuvre en marbre, bronze et terre cuite, tant de plein relief que de basse taille.

Le marbre au reste importe avec soi non tant seulement plus de peine que l’argille, le bois et semblables étoffes tendres, plus aisées à manier, à cause de la masse qui pése de quatre à cinq livres et la pointe ou ciseau qu’il faut à tout propos acérer de nouveau à la forge, mais pour la ruse et pratique qu’il faut avoir à connaître le fil du marbre et de quel biais on le doit prendre.

À ce propos, je puis dire avoir vu Michel l’Ange, bien qu’agé de plus de soixante ans et encore non des plus robustes, abattre plus d’écailles d’un trés dur marbre en un quart d’heure que trois jeunes tailleurs de pierre n’eussent pu faire en trois ou quatre, chose presque incroyable qui ne le verrait, et il y allait d’une telle impétuosité et furie que je pensais que tout l’ouvrage dût aller en pièces, abattant par terre d’un seul coup de gros morceaux de trois ou quatre doigts d’espaosseur, si ric à ric de sa marque que, s’il eust passé outre tant soit peu plus qu’il ne fallait, il y avait danger de perdre tout, parce que cela ne se peut plus réparer après ni replâtrer comme les images d’argile ou de stuc. Quant au bois et l’ébène et l’yvoire aussi, ils sont plus doux et traitables, et moins rebelles et rebours, mais telle est cette dextérité et assurance de la main qui s’acquiert par une diuturne expérience et pratique. Tellement que celui qui est usité à faire des figures de pierre ou de bois est bien plus apte à en élaborer de métal, que non pas l’imagier simple métallaire à se ruer indifféremment sur le marbre: bien est vrai que pour raison du dessein et des modelles qui leur sont communs aux uns et aux autres, soit de terre, cire ou autres semblable estoffe, il ne lui reste que la pratique de le bien jeter dans ses formes. […]

 

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